Dans le système de production actuel, « la seule règle est de protéger le marché. Dans cet esprit, les animaux déjà relégués à l’état de choses sont sacrifiés sans autre forme de procès », dénonce Yvan Beck, vétérinaire et Président de Planète Vie, dans une carte blanche parue dans les colonnes du journal le Soir (27/09/2018).
Toutes les crises qu’a traversées notre agriculture ces dernières décennies reposent sur deux mécanismes : le premier implique un facteur déclenchant, le second plus pernicieux repose sur le modèle de développement qui permet à cette crise … d’en devenir une.
Pour le facteur déclenchant il semblerait que la peste porcine soit la conséquence de l’introduction frauduleuse en Belgique de sangliers par des chasseurs. Je ne m’étendrai pas ici sur la chasse qui, à elle seule, mérite plus d’une carte blanche… Laissons faire la justice et espérons que les coupables assumeront pleinement les conséquences de leurs actes. Il reste néanmoins la question que se posent de nombreux citoyens: alors que l’un des arguments principaux des chasseurs est leur rôle comme régulateur des écosystèmes, pourquoi importer d’avantage d’animaux ? Où est la régulation si les cheptels sont limités dès le départ ?
Pour le fond, c’est tout le système qui doit être remis en question. A chaque crise, « nous » payons le prix fort pour maintenir une machine économique aveugle qui ne prend en considération que son profit. Et ce « nous » englobe l’homme, l’animal et l’environnement.
La production industrielle s’est construite après la période de disette de la seconde guerre mondiale. Une époque de libération. De tous les possibles. L’époque d’une croyance bien enfantine au dogme de l’opulence sans limites. Comme si un environnement fini pouvait produire de façon infinie. Restons pragmatiques. Il n’y aura pas de viande tous les jours pour tous. Il n’y aura pas de viande bon marché. Il est évident aujourd’hui que nous devons revoir tant notre consommation, que notre production de viande.
Dans cette euphorie des années cinquante, l’industrie de la viande s’est développée en suivant trois axes, porteurs chacun de leurs limites et de leurs folies. Chacun d’eux doit être repensé aujourd’hui à la lumière de l’état actuel de la planète, et ce dans une approche globale et durable. Tout le système est à revoir. Il est trop tard aujourd’hui pour les petits pas.
Le premier axe concerne la sélection naturelle et la génétique. Cette approche a priori scientifique a bien évidemment des aspects bénéfiques. Mais elle a tout autant ses dérives et ses effets dévastateurs. La sélection à outrance a conduit à créer des races incapables d’accoucher de façon naturelle, telles le BBB en Belgique. Elle a produit un appauvrissement dramatique de la biodiversité au sein des espèces et des races, allant jusqu’à la promotion d’OGM et de monocultures ne pouvant se développer qu’à force d’utiliser engrais et pesticides…
L’alimentation de nos animaux a évidemment amélioré les rendements et contribué à raccourcir les cycles de production. Mais elle a aussi bouleversé les équilibres physiologiques de plusieurs espèces : nos herbivores sont devenus carnivores voire cannibales par l’introduction massive de protéines animales dans les rations. Et quand ce n’est pas le cas, nous avons généralisé l’utilisation du couple « maïs – soja » impactant directement les gaz à effet de serre et le réchauffement climatique en intensifiant les flux de matières à travers le monde. Sans oublier enfin que l’alimentation artificielle de nos animaux prive l’homme d’un grand nombre de ressources qui lui sont indispensables pour nourrir l’humanité.
Le dernier axe concerne l’organisation même du système : la mécanisation des structures, « la désanimalisation du produit » et la création de chaînes de productions hyperspécialisées où les animaux sont concentrés dans des unités de productions démesurées. Nous avons inventé un mode de production qui crée les conditions optimales à l’émergence et à la dissémination des maladies infectieuses. Mettez un grand nombre d’animaux, immunodéprimés dans des espaces réduits et le moindre germe qui passe y provoquera une épidémie voire même, une pandémie.
La seule réponse cautionnée par nos décideurs politiques en cas de problème est d’isoler les foyers et d’abattre les animaux. Que la maladie soit contagieuse ou non pour l’homme. Qu’elle soit mortelle ou non pour l’espèce concernée. Que les animaux soient atteints ou non par la maladie. La seule règle est de protéger le marché. Dans cet esprit, les animaux déjà relégués à l’état de choses sont sacrifiés sans autre forme de procès. Les agriculteurs voient s’évanouir des semaines de travail. Pour tous, y compris l’environnement, il n’y a que destruction et gaspillage. Où est l’éthique dans tout cela ? Quel respect et quel prix accorde-t-on à la vie des uns et des autres ?
Alors oui, il y a bien 4.000 morts inutiles. La société civile confrontée aux bouleversements provoqués par les activités humaines est prête au changement. Elle n’attend pas de « rustines » pour dissimuler les gouffres de demain. Elle attend de ses hommes politiques de vraies réponses à de vraies questions. Alors, au-delà de cette hécatombe inutile, que compte faire la Belgique – au niveau local et en tant que partenaire européen – pour proposer enfin une véritable politique agricole au service de tous ?