La Cour européenne des droits de l’homme valide l’interdiction flamande et wallonne de l’abattage rituel sans étourdissement

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C’est un arrêt très attendu que la Cour européenne des droits de l’homme a rendu ce mardi. Elle était appelée à se prononcer sur l’interdiction flamande et wallonne de l’abattage rituel sans étourdissement. Plusieurs requérants des communautés juive et musulmane du pays, consommatrices de viande halal ou casher s’étaient tournés vers la Cour européenne des droits de l’homme fin mars 2022 pour contester des décisions de la Flandre et de la Région Wallonne d’interdire l’abattage d’animaux sans étourdissement préalable.

La Cour européenne des droits de l’homme, installée à Strasbourg, n’a pas donné raison aux organisations juives et musulmanes.

Que dit l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme ?

Dans son arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, que les Régions flamande et wallonne n’ont pas violé l’article 9, relatif au droit à la liberté de religion, de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle estime aussi qu’il n’y a pas de violation de l’article 14 qui interdit la discrimination.

La Cour juge en particulier que la Flandre et la Wallonie n’ont pas outrepassé la marge d’appréciation dont elles disposaient en approuvant les décrets dont le but était d’interdire l’abattage des animaux sans étourdissement préalable, tout en prévoyant un étourdissement réversible pour l’abattage rituel.

La Cour estime que la Flandre et la Wallonie ont pris une mesure qui est justifiée dans son principe et qui peut passer pour proportionnée au but poursuivi, à savoir la protection du bien-être animal en tant qu’élément de la  » morale publique « .

La Cour précise qu’il s’agit de la première fois où elle s’est prononcée sur la question de savoir si la protection du bien-être animal pouvait être rattachée à l’un des buts visés par l’article 9 (relatif au droit à la liberté de religion) de la Convention européenne des droits de l’homme.

Satisfaction du côté du gouvernement flamand et de Gaia

En Flandre, le ministre flamand Ben Weyts, en charge du Bien-être animal, a salué la décision « historique » mardi. Un motif de « fierté » pour les Flamands, qui ont été « des précurseurs » sur ce plan, assure-t-il. Il lance au passage un appel à la Région bruxelloise, seule région du pays où l’abattage rituel sans étourdissement est encore possible. « Non seulement à Bruxelles, mais aussi dans toute l’Europe, la voie est ouverte à une interdiction« . A Bruxelles, la majorité s’était fissurée, en juin 2022, sur un texte Défi-Groen-Open Vld tentant également d’y interdire l’abattage sans étourdissement. Le texte avait rassemblé les voix d’une partie de la coalition mais avait échoué à parvenir à la majorité nécessaire.

L’organisation de défense des animaux Gaia n’a pas tardé à réagir, mardi matin. Gaia « se réjouit de l’arrêt » et entend désormais « faire pression sur la Région de Bruxelles-Capitale« , communique-t-elle. « C’est un de mes plus beaux jours depuis que je me milite pour les animaux« , ajoute Michel Vandenbosch, le président de l’organisation.

 

Les regards tournés vers la Région Bruxelles-Capitale

Des trois régions du pays, la Région Bruxelles-Capitale est la seule à ne pas avoir interdit l’abattage sans étourdissement.

Du côté du gouvernement bruxellois, le ministre Bernard Clerfayt (DéFI), notamment en charge du bien-être animal, s’est exprimé via X, l’ex-réseau Twitter. « Je prends acte de la décision de la CDEH suite au recours des organisations juives et musulmanes contre l’interdiction flamande et wallonne de l’abattage sans étourdissement. La cour le stipule : le but poursuivit par cette interdiction, à savoir la protection du bien-être animal, justifie une telle décision« , a-t-il publié.

Du même parti DéFI, le député bruxellois Jonathan de Patoul, s’est dit conforté, ce mardi, dans son combat en faveur de l’étourdissement avant abattage, après la validation par la Cour européenne des droits de l’homme de l’interdiction flamande et wallonne de l’abattage sans étourdissement préalable. Le député bruxellois DéFI, vétérinaire de formation, est l’auteur de la proposition d’ordonnance qui visait à obliger un étourdissement, réversible ou non, avant l’abattage d’un animal à Bruxelles. Celle-ci avait été rejetée par le Parlement bruxellois, lors d’un vote serré, en juin 2022. « Au niveau scientifique il y a un consensus pour dire qu’un animal étourdi avant l’abattage souffrira moins. Au niveau juridique, la Cour confirme qu’il n’y a pas de violation de la liberté de culte et de discrimination dans la proposition d’ordonnance que j’ai déposée. Je continuerai mon combat pour améliorer le bien-être animal partout où c’est possible« , a commenté Jonathan de Patoul, dans un communiqué.

Dans l’opposition, le député MR Gaëtan Van Goidsenhovern, président de l’association de protection animale Veeweyde, a dit espérer que l’arrêt rendu « dépassionnera quelque peu le débat autour de l’obligation de l’étourdissement préalable« . « Les échanges tendus et traumatisants au Parlement bruxellois sur cette question ont laissé des traces. Il est temps de repositionner le débat sur la question de la réduction de la souffrance animale. Cela a d’autant plus de sens que le bien-être animal devrait prochainement être inscrit dans la Constitution« , a-t-il déclaré, interrogé par l’agence Belga.

Enfin, pour la cheffe du groupe N-VA Cieltje Van Achter, le ministre Clerfayt et le gouvernement bruxellois n’ont plus le moindre argument pour maintenir l’interdiction de l’abattage sans étourdissement en dehors du futur Code sur le Bien-être animal.

Le contexte

La Flandre a adopté en 2017 un décret interdisant d’abattre des animaux sans étourdissement préalable, dans le cadre de rites religieux. La Wallonie a pris le même chemin l’année suivante, avec entrée en vigueur en 2019 dans les deux Régions.

Au nord comme au sud, les considérations de bien-être animal ont finalement pesé plus lourd, parmi les élus, que les arguments y opposant la liberté de culte ou encore le danger de voir l’activité économique de production de viande halal ou casher se déplacer vers l’étranger.

Seule la Région bruxelloise continue, dans le paysage belge, de faire exception. Une proposition d’ordonnance pour interdire l’abattage sans étourdissement avait échoué en juin 2022 à rassembler le nombre de voix nécessaire au parlement régional, divisant les élus au sein même de la majorité.

Après ces décisions prises par la Flandre et la Wallonie, plusieurs personnalités et organisations musulmanes et juives se sont tournées vers la Cour européenne des droits de l’homme fin mars 2022.

Précédemment, elles avaient tenté de faire annuler les décrets en question par la Cour constitutionnelle. Celle-ci avait cependant rejeté les recours en septembre 2021, s’appuyant entre autres sur des éclaircissements apportés par la Cour de Justice de l’Union européenne. Pour la Cour constitutionnelle et pour la Cour de Justice de l’Union européenne, les décisions de la Flandre et de la Wallonie restreignaient bien la liberté de manifester sa religion, mais cette restriction était jugée proportionnée et visait un objectif légitime, celui de promouvoir le bien-être animal. On considérait alors que les deux Régions avaient écouté le consensus scientifique sur la meilleure manière de réduire la souffrance de l’animal tué. On considérait aussi que le législateur avait recherché l’équilibre, en prévoyant pour les abattages rituels un étourdissement réversible, qui n’entraîne pas la mort de l’animal.

L’action en justice des requérants devant la Cour européenne des droits de l’homme posait à nouveau la question de l’ingérence (justifiée ou non, le cas échéant) dans la liberté de religion, protégée par l’article 9 de la Convention.

La Cour européenne des droits de l’homme devait également examiner s’il y a discrimination (article 17) dans l’exercice de la liberté de religion.

Parmi les requérants, au nombre de 13 individus et 7 organisations se trouvaient le grand rabbin de Bruxelles Albert Guigui, l’Exécutif des Musulmans de Belgique, la Diyanet de Belgique (mosquées dépendant de la Turquie), le Rassemblement des musulmans de Belgique (lié au Maroc), et plusieurs Anversois de confession juive.

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