UNE CRISE PAS COMME LES AUTRES! Ombres et lumières, défis et opportunités
Les causes
Plusieurs causes sont à l’œuvre qui expliquent la différence avec d’autres crises semblables.
D’abord, la globalisation qui implique des déplacements nombreux tous azimuts et dès lors la transmission rapide à partir des zones infectées vers d’autres régions de la planète. Cela a été le cas de Wuhan vers la Lombardie, vers l’Allemagne ou vers l’Espagne.
Puis, la promiscuité entre les animaux sauvages et les humains provoquée par la destruction des écosystèmes, la déforestation des forêts, le déboisement et la consommation d’animaux sauvages sur des marchés en plein air sans les mesures d’hygiène nécessaires.
Enfin, ce que certains appellent une dystopie sanitaire est caractérisée par une économie encore affaiblie par la crise financière de 2008 avec comme corollaire un paysage social composé d’énormes inégalités et de systèmes publics de santé terriblement ébranlés par les coupures budgétaires imposées par le système néolibéral en place dans la plupart des régions du monde.
C’est pourquoi les mesures radicales de confinement prises à Wuhan ne pouvaient être reprises par d’autres pays avec un nombre de cas encore trop faible et insuffisamment testés, en raison notamment des conséquences extrêmement graves du point de vue économique et social, et pour éviter la panique généralisée.
Les pays qui ont tenté d’autres solutions, comme l’immunité de groupe, soit ont dû revenir en arrière, comme les Pays-Bas ou le Royaume-Uni, soit ont été confrontés à des disputes entre les dirigeants nationaux et les autorités fédérales, comme aux Etats Unis ou au Brésil.
Comme on commence à le constater, les répercussions du COVID-19 sont sans précédent. Aussi bien sur les pays, leurs économies et leurs systèmes de santé, que sur les individus au niveau psychologique ou social.
Ainsi donc, comme dans toutes les crises la pandémie du COVID-19 a donné lieu à des situations paradoxales. On peut parler d’ombres et de lumières.
Les opportunités
Tout d’abord les lumières, les opportunités.
Première opportunité : la diminution de la pollution atmosphérique, s’agit-il d’un mirage ?
En regardant les villes propres et libres de pollution nous nous sommes tous réjouis de cette conséquence positive de l’arrêt des activités humaines. Et pourtant, il faudrait se demander quelle est la réalité de ces bienfaits apparents et quel est leur poids réel.
La diminution de CO2 est une réalité mais elle ne réduira les niveaux de pollution à la hausse de ces dernières années qu’en termes très relatifs et n’aura aucune influence sur les autres gazes à effet de serre comme les particules fines. Il s’agit donc d’un facteur positif mais minime.
En effet, même dans une société pratiquement paralysée, il existe un pourcentage de particules polluantes qui continuent d’être rejetées dans l’atmosphère. « 40% des émissions habituelles d’oxyde d’azote sont toujours présentes et c’est parce que ce ne sont pas seulement les voitures, qui ont quasiment disparu des villes, qui contribuent à la pollution, mais qu’il y a d’autres acteurs comme les systèmes de chauffage ou l’électricité.
L’arrêt des transports et d’une grande partie de l’activité industrielle en raison de la crise du Covid-19 entraîneront une diminution d’environ 6% des émissions de CO2 cette année, ce qui est insuffisant pour influencer le changement climatique, a annoncé l’Organisation météorologique mondiale ( OMM), qui a confirmé que la période de cinq ans 2015-20 était la plus chaude jamais enregistrée.
L’urgence sanitaire a changé la vie, mais pas le système économique. Étant donné que le Covid-19 est un acteur de plus dans un axe chronologique en proie à des calamités et à des crises économiques, la réduction des émissions ne doit donc pas être considérée comme une victoire environnementale, à moins qu’elle ne soit déterminée par un changement structurel du système.
En revanche, cette réduction pourrait servir d’excuse aux pouvoirs publiques et aux grandes multinationales pour retarder encore une fois la mise en œuvre des accords de Paris. Et même le citoyen confiné pourrait très bien se donner bonne conscience en ayant l’impression d’avoir déjà contribué à la lutte contre le changement climatique avec un grand sacrifice personnel. Ce qui n’est évidemment pas le cas.
Deuxième opportunité : la fin de la massification
La démographie mondiale avec plus de sept milliards d’êtres humains et des prévisions atteignant les dix milliards à la moitié du siècle, comporte une massification de toutes les activités, qu’elles soient de loisir, de transport, professionnelles ou sociales.
Une des séquelles de cette pandémie sera l’impossibilité, du moins pendant un certain temps, de la participation massive, soit-elle dans les transports publiques, sur les plages, dans les concerts ou les matches de football, ou dans les salons ou les foires commerciales.
Nous étions tous informés de la nécessité de réduire l’utilisation de l’avion et pourtant les prévisions des compagnies aériennes étaient à la hausse. Suite au COVID-19 il faudra prendre des mesures qui vont réduire inévitablement le flux de voyageurs et devraient mettre un coup d’arrêt à l’usage démesuré de l’avion. Du moins, c’est ce qu’attendent les experts.
Troisième opportunité : quelques leçons à apprendre
-Les sociétés doivent être plus résiliantes, mieux équipées, mieux adaptées aux risques et susceptibles de prendre les menaces plus au sérieux. Notamment, les systèmes publics de santé.
-Il est important de prendre des décisions basées sur la connaissance scientifique une fois qu’elle est suffisamment consolidée.
-Les conséquences de la pandémie affectent tout le monde, mais surtout les plus démunis. Comme dans toutes les crises, que ce soit celle de 2008 ou celle du changement climatique les inégalités ont augmenté.
-Il s’est avéré nécessaire de prendre des mesures le plus tôt possible. Le manque d’action a des conséquences dévastatrices. Peu importe que ce soit un report de quelques semaines comme dans le cas de la pandémie ou de quelques années comme pour le changement climatique.
-La crise actuelle pourrait avoir un effet positif dans la lutte contre les conséquences du changement climatique, en montrant à la communauté internationale qu’il est possible de travailler ensemble pour un intérêt commun qui nécessite d’une solution urgente.
Les défis
En ce qui concerne les aspects négatifs rendus visibles ou provoqués par la pandémie, ils sont nombreux et dès lors il n’est pas possible d’être exhaustif. Voici les plus importants défis qui nous attendent.
Premier défi : conséquences économiques
Le défi décisif viendra plus tard, lorsque nous devrons faire face à la précarité, aux inégalités accrues, à la discrimination et au manque de protection, en partie provoquées par l’effondrement économique de 2008 et radicalisées du fait de la pandémie actuelle.
Heureusement, le confinement a également entraîné un débat publique sur la nécessité d’un revenu universel, sur les réseaux d’entraide, sur la réévaluation des services publics ou sur la perception de la valeur suprême du commun. En même temps, cette crise nous a apporté la confirmation de nos pires soupçons sur le modèle économique néolibérale ou néo-propriétariste comme appelé par Thomas Piketty, et la certitude que nous devons arrêter la destruction de la biodiversité.
Deuxième défi : perte de la biodiversité
La crise du coronavirus nous a montré également d’autres aspects négatifs un peu moins évidents. Différentes indications montrent que l’abattage et la consommation d’animaux sauvages, même protégés, sur les marchés dits humides de Chine, mais aussi en Afrique, en Amérique Latine et ailleurs, sans aucun type d’hygiène ou de mesures sanitaires, ont constitué l’une des causes de l’apparition et de la propagation du virus.
Il ne fait aucun doute que la fermeture de marchés malsains pour les espèces protégées ou même non protégées dans le monde, à commencer par la Chine, serait la bonne chose à faire pour réduire la probabilité de nouvelles flambées de coronavirus.
Mais cette mesure servirait aussi pour protéger la biodiversité et freiner la déforestation, clés pour garantir une meilleure protection de l’environnement.
La crise du COVID-19 a mis en évidence le risque de perte de diversité biologique. La plupart des pandémies qui affectent les humains depuis le milieu du XXe siècle, comme l’actuelle, sont causées par des maladies qui sont passées de l’animal à l’homme. Aujourd’hui l’on sait que c’est la perte des écosystèmes qui est à l’origine de la plupart de ces transferts.
De plus, la modification du climat a fait de certains pays un terrain propice à des espèces de plus en plus envahissantes qui réduisent la biodiversité et impactant directement sur les secteurs agricole, d’élevage et forestier, en plus d’entraîner des risques sanitaires. Ainsi, l’Europe devrait œuvrer avec plus de détermination pour éradiquer le trafic d’animaux sauvages, suivre et contrôler les espèces exotiques.
Troisième défi : l’effondrement de l’écotourisme a laissé des milliers d’animaux dans des environnements naturels menacés d’abandon.
Dans des nombreux pays les organisations axées sur la protection de la faune et de la flore sauvages dépendent du tourisme pour financer des projets de protection d’espèces en danger critique d’extinction et d’habitats rares. La crise actuelle pourrait les contraindre à suspendre leurs activités.
En effet, la fermeture des frontières et l’interdiction de voyager ont brutalement ralenti l’arrivée des touristes, ce qui a réduit automatiquement les revenus de ces organisations.
Déjà à l’heure actuelle, les mesures nécessaires prises pour freiner l’avancée de la pandémie ont un impact négatif sur les écosystèmes. Sans surprise, la chasse, la pêche et la déforestation illégales ont augmenté dans les pays les moins développés, tandis que les organisations d’écotourisme ont perdu des milliers d’emplois.
Il y a plusieurs pays où des sanctuaires comme celui de « De Zonnegloed » en Belgique, ont dû fermer leurs portes et lancer un appel à l’aide afin de pouvoir continuer à soutenir et nourrir les animaux.
Quatrième défi : impact sur l’agenda multilatéral
Après l’échec de la conférence de Madrid de 2019 sur le climat, une fois suspendu le 15e sommet sur la biodiversité des Nations Unies, l’échéance de cette année avait été présentée comme la dernière opportunité de prendre des engagements sérieux et ambitieux qui permettraient la mise en œuvre de l’Accord de Paris. Pourtant, le report de la réunion multilatérale de Glasgow de la COP26 à l’année prochaine affaiblit encore plus les minces chances de progrès.
Au niveau européen, le « Pacte vert européen » et les engagements pour atteindre la neutralité des émissions de carbone en 2050, déjà très insuffisants, commencent également à être remis en cause par les États les plus dépendants des énergies polluantes. Le premier pays à avoir réagi a été la République tchèque, dont le Premier ministre a appelé l’Europe à « oublier l’accord vert et à se concentrer sur le coronavirus ».
En outre, l’affaiblissement de l’économie européenne fait que d’autres États comme la Pologne remettent en cause les objectifs d’investissement fixés par l’UE pour la disparition du charbon du continent.
Cinquième défi : retour en arrière
Malheureusement, la lutte contre la pandémie a déjà un impact sur l’environnement, comme le montre le grand nombre de masques utilisés qui sont apparus sur les rives de l’archipel de Soko – à l’ouest de Hong Kong et au sud de l’île de Lantau -, imputé à la utilisation massive de masques à la suite du Covid-19.
La production de plastique qui était en franche diminution a augmentée de manière exponentielle par cause du besoin généralisé de masques, de gants ou d’autres produits en plastique.
Serait-on en train de créer des nouvelles montagnes ou des îles de déchets par cause de l’accumulation de masques et de gants jetables?
Conclusion
Ombres et lumières, opportunités et défis.
D’un côté la pandémie de coronavirus a dévoilé un univers de fausses promesses comme l’infaillibilité de la science ou la solidarité universelle, en même temps qu’elle nous confronte à des menaces, car même si l’ancien régime disparaît, un nouveau peut émerger qui récupère le pire du précédent.
De l’autre côté, on observe qu’au sein des institutions européennes, certains affirment que la crise est peut-être le bon moment pour faire avancer le « Pacte vert européen ». Un exemple en est Janusz Wojciechowski, commissaire européen à l’agriculture, qui a assuré que la reprise économique du continent doit être « verte et durable ». Cependant, si reprise économique veut dire la forme de croissance illimitée à l’origine de cet état de choses, alors la transition écologique européenne ne servira pas à résoudre les problèmes liés au changement climatique.
On est dans une croisée de chemins, il s’agît de la toute dernière chance pour notre civilisation et on ne peut pas se leurrer. Une fausse sortie de la crise qui ferait passer « verte » ou « transition » par « business as usual »(comme d’habitude) nous conduirait directement à une voie sans issue.
Il faut donc s’assurer que les investissements et les aides arrivent aux secteurs les plus touchés par la crise, y compris les secteurs publics comme celui de la santé, et qu’elles servent à protéger la population tout en réduisant les effets du changement climatique.
Coopération, altruisme, entraide ne sont pas seulement des mots mais des valeurs qui doivent présider l’après COVID-19. Si seulement cette pandémie servait à secouer nos consciences afin de comprendre que tout est interdépendant.
L’espèce humaine qui détruit les écosystèmes…qui abritent des animaux…qui peuvent transmettre des virus…qui parviendront à nous contaminer très rapidement par cause d’un monde interconnecté, avec des pertes humaines démultipliées par un environnement pollué par les émissions de C02. C’est ça un monde interdépendant.
Il y a un abîme entre l’inégalité et la dépendance de la globalisation néolibérale qui nous a conduit à la situation actuelle, et la variété et l’interdépendance réelle de nos « plurivers* ». C’est cette interdépendance qu’annonce un nouvel espoir, un espoir actif comme le dit l’éco-féministe Joanna Macy, pour une démocratie radicale qui embrasserait toute la vie. Un monde où l’on aurait besoin de moins pour partager plus avec les autres humains et avec les autres espèces. Un monde où les océans à l’origine de la vie seraient protégés, et les écosystèmes où la vie se développe et s’épanouit seraient respectés.
Apprendrons-nous cette fois-ci ?
Professeur José Javier Paniagua
« Les gens vivent maintenant comme ils le faisaient auparavant (…) et c’est clair qu’ils n’ont rien appris des horreurs qu’ils ont du dépasser. Les petites intrigues avec lesquelles ils se compliquaient la vie occupent de nouveau la plupart de leurs pensées. Nous sommes une espèce bien étrange. »
Albert Einstein (Ma traduction : lettre du 30 décembre 1945).
- « Un modèle explicatif. En physique, l’hypothèse du multivers (appelé aussi « univers multiples ») est un modèle cosmologique dont l’une des fonctions est de résoudre le problème de la mesure quantique, dans le cadre de la physique des particules élémentaires. »