Bruxelles, capitale de la honte

 

La première chaîne de montage automobile fut créée par Henri Ford en 1913. L’histoire nous raconte qu’il s’inspira de l’efficacité des chaînes d’abattage de Chicago arguant que si l’on pouvait « démonter » de façon aussi efficace et rentable les « pièces » animales, l’industrie automobile devrait s’en inspirer pour « assembler » les pièces mécaniques des véhicules.

Ce petit aparté pour rappeler que les abattoirs industriels sont l’un des éléments qui, depuis Descartes, présentent l’animal comme une « machine » dénuée de conscience, de pensées ou d’émotions. Toute l’industrie de la viande s’est construite autour de ce dogme, veillant à privilégier les économies d’échelle et la productivité en retirant aux animaux toute qualité psychologique. Ce faisant, elle put maintenir l’opinion publique à l’écart d’un débat qu’il n’y avait pas lieu de faire… puisque les animaux ne ressentaient rien. Et préserver son image auprès d’une clientèle qui ne supporterait pas ce qu’elle leur faisait subir.

Elevage intensif, transport, abattage industriel sont les maillons d’une même idéologie enracinée dans le profit et le déni. Ils bafouent les besoins physiologiques et éthologiques que nous prétendons offrir aux animaux dans des textes de loi, en en contournant le sens au profit d’une impitoyable machine générant souffrances et morts.

Alors il est vrai que retirer un maillon du système ne règlera en rien le problème. Toute l’histoire qui précède la mort est longue et bien chargée. Mais, même si l’étourdissement avant l’abattage est insatisfaisant à lui seul, si comme nous l’affirme la profession vétérinaire dans son ensemble, elle lève un tout petit pan de souffrances, ne doit-on pas cela à ces animaux malmenés depuis leur naissance.

Le refus de voter l’étourdissement par une petite majorité de nos députés relève à mon sens de trois attitudes.

D’une part la persistance chez certains de croyances moyen-âgeuses refusant aux animaux la qualité d’êtres sentients. Il existe pourtant un consensus parmi les scientifiques pour accorder aux animaux – selon des degrés et modalités différentes – conscience, intelligence et émotions. A tel point que nos codes civils et toute la législation régionale en ces matières ont retiré les animaux de la catégorie des objets pour les qualifier désormais d’êtres sensibles. C’est un fait.

Pour d’autres, la raison moins avouable est le clientélisme électoral. En d’autres termes la peur de perdre partie de leur électorat. Aucun ne le dira. C’est un fait également.

La troisième justification ouvre une boîte de pandore en évoquant le respect de rituels religieux séculaires. A mon sens, tout culte peut évoluer sans que cela n’affecte son essence. Les rituels n’ont de sens que s’ils respectent l’esprit des textes, les ajustant aux réalités scientifiques qui évoluent avec le temps. Tout change. Il est inconcevable, aujourd’hui, qu’une religion véhiculant un message d’amour, de compassion, et de respect s’obstine – en désaccord avec les nouveaux paradigmes scientifiques – à faire souffrir des êtres sensibles pour maintenir un rituel. Rituel qui dans des chaînes d’abattage modernes n’a d’ailleurs plus rien à voir avec ce qu’il devrait être selon la tradition. Il n’en reste d’halal que l’étiquette pour vendre le produit répondant à une demande. La viande elle-même, entachée de souffrances du début à la fin de sa production, n’a plus rien de halal. Seule reste une gorge tranchée en toute conscience pour l’animal.

En conclusion chacune de ces attitudes sème la confusion pour s’écarter du sujet à traiter. La souffrance animale. Un sujet pour lequel nous connaissons la réponse unanime de la profession vétérinaire dont je fais partie. Oui, l’étourdissement améliore la situation.

Alors, les hommes politiques qui ont voté « contre » crient haut et fort qu’ils aiment les animaux. Pour nous écarter encore et encore du sujet. Mais, soyons clairs. Si ce genre de contradiction est monnaie courante dans la vie politique, ce n’est pas le cas dans le monde réel. On ne peut pas prétendre aimer les animaux et poser une action qui leur impose davantage de souffrance. Ce mensonge ne passera pas, ne passe plus au sein de la population bruxelloise qui pour une énorme majorité exige que l’on tienne compte du bien-être animal. Même quand il s’agit de les « abattre ».

Alors oui, bien sûr c’est une petite goutte, bien insuffisante. Dans nos sociétés industrielles le profit et le lobbying sont toujours prépondérants. Mais cette petite goutte n’en est pas pour autant importante. Elle montre quelles sont les valeurs auxquellles nous aspirons.

Et puis, pour les égoïstes ou ceux qui ne veulent rien entendre, n’oublions pas que nous sommes entrés dans l’anthropocène. Les impacts des activités humaines sur nombre d’indicateurs sont alarmants. Parmi elles, la production industrielle de viandes participe à plus de 20% à la production des GES. Plus de 40 % des terres arables ont disparu, victimes des conséquences désastreuses de l’agro-industries. Plus de ¾ des productions agricoles (céréales, maïs, …) propres à la consommation humaine sont détournées pour produire de la viande.

Alors que le réchauffement climatique et ses nombreux corolaires – dont les famines – vont devenir nos réalités de demain (et ne soyons pas naïfs on y est déjà), l’humanité devra poser des choix. Le moins coûteux et le plus efficace sera le recours à une alimentation majoritairement végétale. A ce moment-là, productions animales, transports, abattages et même les rituels auxquels nous tenons tant sombreront dans l’oubli. Il n’en restera que l’amer souvenir de ce que nous avons fait subir durant tant d’années à d’innombrables êtres sentients.

 

Dr Y Beck

Président de Planète-Vie