Ils ont des ailes pour voler et nous leur avons volé le ciel.

Ils ont des nageoires pour nager et nous avons vidé les océans, confinant leurs ambassadeurs les plus emblématiques, les dauphins,  dans des bassines livrant un spectacle pathétique à des humains en perte de repères. Un spectacle qui, selon ses promoteurs, devait inciter l’homme à respecter ces océans mêmes qu’il saccage ….

Ils ont des pattes pour se déplacer, pourtant, qu’ils soient sauvages ou domestiques, quel espace leur concédons-nous sur terre ? Les vastes étendues naturelles disparaissent au rythme de la croissance démographique humaine, accélérant la disparition des espèces sauvages qui y vivaient.  Quant aux espèces domestiquées, elles sont confinées dans des unités de production industrielle intensive. Quel enfant a vu aujourd’hui un cochon s’ébattre dans la boue ?

L’homme s’est coupé de la Nature. Ce constat n’est pas nouveau. Il s’est accéléré avec la croissance des villes. Des villes où l’un des derniers liens qui le rattache au monde vivant est l’animal de compagnie. De compagnie… Et oui, à force de faire le vide autour de lui, l’homme se retrouve de plus en plus seul.

Et voilà qu’aujourd’hui, pour répondre à ses peurs et satisfaire ses égoïsmes personnels ou collectifs il retire aux chiens le droit de courir dans les parcs publics.  Publics pour qui ? Publics pour combien de temps ? Car si les chiens et leurs accompagnateurs les désertent, l’homme s’y retrouvera …seul. De plus en plus seul.

J’exerce la profession de vétérinaire depuis plus de 30 ans. En tant que tel, je suis en contact avec des maîtres qui respectent les règlements. Et cela dans l’intérêt de tous. Les chiens sont tenus en laisse dans les créneaux horaires imposés, les humains ramassent les déjections de leurs compagnons. Les parcs sont un lieu de rencontres, d’échanges, de découvertes… de liberté… de joie et de détente. Homme, animal, et environnement façonnent ensemble le tissu urbain dans lequel ils cohabitent.

Les infractions invoquées pour changer les règles de cette cohabitation concernent des personnes qui de toute façon ne respectent pas les lois. Par contre, les restrictions mises en place vont toucher tous les animaux, tous les détenteurs d’animaux, tous ceux qui participent au maintien de cités conviviales.

La société « chat », parmi d’autres sociétés animales, a privilégié l’utilisation spatio-temporelle de son territoire. Les chats partagent un territoire commun à des moments différents. C’est à cela que servent les marquages d’odeurs, les phéromones. Tout comme les chats respectent ce balisage temporel pour vivre en harmonie, les « villes et communes » autorisaient jusqu’ici les chiens à s’ébattre librement dans les espaces verts tôt le matin et en soirée. A  ces heures ils ne posent aucun inconvénient aux habitants sans animaux qui ont déserté les parcs publics.

Dompter un esprit sauvage… 

L’interdiction de laisser les chiens circuler librement et l’obligation de les tenir en laisse est un constat d’échec. Ce n’est certes pas une solution au problème. C’est par contre une atteinte inadmissible au bien-être animal. Si l’animal n’est pas encore considéré comme « sujet de droit », on lui reconnaît cependant une personnalité juridique et … des droits. Dans cette logique il a autant le droit de gambader et de se délasser que l’homme, celui de se promener. Pour l’un et l’autre, l’activité est essentielle au maintien d’un bon équilibre physique et mental.

Les tibétains ont coutume de dire que pour « dompter » un esprit sauvage, balayé sans cesse par ses pensées et ses émotions,  il faut – tout comme nous offririons une vaste prairie à un cheval trop fougueux – lui donner de l’espace. Priver les chiens d’exercice est le meilleur moyen d’accroître les maladies de civilisation qui frappent aujourd’hui autant les citadins que leurs compagnons. S’il faut des sanctions, veillons à ce qu’elles soient appropriées,  en  renforçant simplement la surveillance – là et pour ceux – qui ne respectent pas les règlementations actuelles.

D’autre part, la décision d’interdire les parcs à certaines races dîtes dangereuses est toute aussi incohérente. Les vétérinaires connaissent bien plus  – d’american staff ou autres akita inu … – équilibrés que déséquilibrés. Faut-il tous les punir au nom de l’appartenance à leur race ?

Les condamner à marcher, tenus en laisse sur de l’asphalte, apporte-t-il une solution réelle au problème ? Faute d’interactions et d’exercices, ne vont-ils pas tous devenir névrotiques ? Et parmi les agressifs, combien le sont-ils devenus parce que leur maître les y avait encouragés ? Ne faudrait-il pas proposer des alternatives destinées à contrôler dès l’adoption la motivation et la compétence des « candidats maîtres ». Un  permis  pourrait être délivré par les autorités à ceux qui en font la demande et répondent à certains critères. On pourrait également imposer pour le chien comme  pour le maître,  une période d’éducation qui couvrirait les premiers mois de vie commune. Il existe tant de solutions alternatives.

En hébergeant des animaux de compagnie, l’homme a conservé un lien ténu le rattachant à la Nature. Ce lien lui montre un chemin d’ouverture, de respect et de partage. Ce lien n’est pas sans responsabilités. Il lui incombe de le préserver. De le faire croître. De l’étendre. De s’en inspirer pour réinventer son rapport à la Nature, et cela dans la perspective élargie des interdépendances du monde vivant.

Yvan Beck

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